Je me réjouis que l’Église, en suivant les mesures sanitaires prises par le gouvernement, affirme clairement sa solidarité avec l’humanité et son souci d’une vie saine pour tous les hommes. Cela n’a pas toujours été le cas : rappelons-nous la position ambiguë de l’Église quand le monde s’est mis à affronter l’épidémie du sida.
Car ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement ma santé personnelle. Si je veux jouer le héros en la mettant en danger, ça ne regarde que moi. Et même pas complètement: le système de santé devra me prendre en charge… Ce qui est en jeu, c’est aussi la santé des autres.
C’est aussi le respect des soignants : il s’agit de chercher les moyens de ne pas les submerger de travail, un travail aujourd’hui spécialement stressant et épuisant. Il s’agit aussi de garder la capacité des hôpitaux de soigner dignement toutes les personnes malades, sans devoir en refuser par manque de place.
On l’a vu dans l’histoire, on le voit aujourd’hui dans le monde : sans mesures efficaces, les épidémies peuvent faire des ravages.
Au moyen-âge, les épidémies comme la peste, ont parfois tué le tiers de la population européenne, pendant que l’Église organisait des messes et des processions pour « lutter » contre le virus…
Dans ce monde où l’individualisme fait parfois tellement de dégâts, la redécouverte de l’intérêt commun est important.
Que l’Église prenne cela au sérieux par des mesures difficiles à prendre, est tout à son honneur.
Et pour que les mesures soient efficaces, il s’agit qu’elles soient radicales. En cherchant des aménagements, on arrive à des situations ingérables.
Que serait une Église qui ferait bande à part en ce qui concerne les mesures prises pour la société, des mesures qui créent bien plus de difficultés à d’autres secteurs qu’à l’Église?
S’il y a bien des valeurs évangéliques, ce sont la solidarité et le souci de l’autre.
Quand Jésus dit: “Faites ceci en mémoire de moi”, le “ceci” ne désigne pas seulement le partage du pain et du vin, mais aussi et surtout toute sa manière d’être sur les routes de Palestine, c’est-à-dire le soin de l’autre, le souci que chacun ait la vie et une vie digne en relation avec les autres. C’est ce soin et ce souci que, toute sa vie, il a “partagés” comme du pain qui permet de vivre, comme du vin qui donne de la joie à la vie, quand ils sont partagés avec les autres. Et c’est ainsi qu’il est présence du Dieu de vie, ami des humains. Et c’est « ceci » aussi qu’il nous demande de « faire en mémoire de lui ».
Pour moi, ces mesures actuelles de souci de soi-même et de l’autre, dont la suspension des messes, sont ainsi, paradoxalement, des gestes “eucharistiques”.
L’eucharistie ne se cantonne pas dans le moment précis du partage du pain et du vin dans une église le dimanche matin : elle doit colorer notre vie de tous les jours dans nos rencontres sur nos chemins. Nous sommes ainsi invités à redevenir attentif à « la présence réelle » vécue aussi dans nos partages sur nos chemins (Voir Matthieu 25,31-40).
Dans l’évangile de Pâques de cette année (Mt 28,7), le message de l’ange au tombeau vide est celui-ci: “Vous cherchez Jésus? Il n’est pas ici. Il vous précède en Galilée; là, vous le verrez.” “Il n’est pas ici”: Jésus n’est pas toujours là où on croirait le trouver.
Il est en “Galilée”, c’est-à-dire loin du temple et de la ville sacrée de Jérusalem, dans cette région, la Galilée, où se côtoient des populations de toutes sortes.
La situation que nous sommes forcés de vivre actuellement est peut-être aussi l’occasion de se sentir spécialement solidaires de toutes ces personnes qui, en temps ordinaire et toute l’année, ne peuvent pas participer aux messes du dimanche à cause de la maladie ou de l’âge, alors qu’elles le désireraient. En communion avec ces personnes, nous pouvons user des moyens qu’elles utilisent habituellement : la TV, la radio, internet, les feuillets des messes et les homélies mises chaque semaine sur ce site.
. Jean-François
Voici des extraits d’un interview récent de Mgr Grech, secrétaire du synode des évêques. Il y aborde notamment la suspension des messes dans les églises :
« La pandémie a mis en lumière une certaine ignorance religieuse, une pauvreté spirituelle. Quelques-uns ont insisté sur la liberté de culte, mais ils ont peu parlé de la liberté dans le culte. Nous avons oublié la richesse et la variété des expériences qui nous aident à contempler le visage du Christ. Quelqu’un a même dit que la vie de l’Église était interrompue ! Et c’est vraiment incroyable. Dans la situation qui a empêché la célébration des sacrements, nous n’avons pas compris qu’il y avait d’autres manières de faire l’expérience de Dieu.
Dans l’Évangile selon Jean, Jésus dit à la Samaritaine : « L’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. […] l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père » (Jean 4, 21-23). La fidélité du disciple envers Jésus ne peut être compromise par le manque temporaire de la liturgie et des sacrements. Le fait que de nombreux prêtres et laïcs soient entrés en crise parce que nous nous sommes soudainement trouvés dans la situation de ne pas pouvoir célébrer l’Eucharistie coram populo (= devant le peuple) est en soi très significatif.
Un certain cléricalisme est apparu pendant la pandémie, y compris via les réseaux sociaux. Nous avons été témoins d’un degré d’exhibitionnisme et de piétisme qui sent plus la magie qu’une expression de foi mûre. (…)
Je trouve curieux que beaucoup se soient plaints de ne pas pouvoir recevoir la communion et célébrer les funérailles à l’église, mais que peu se soient préoccupés de savoir comment se réconcilier avec Dieu et son prochain, comment écouter et célébrer la Parole de Dieu et comment faire l’expérience du service. (…)
L’Eucharistie n’est pas la seule possibilité pour le chrétien d’expérimenter le mystère et de rencontrer le Seigneur Jésus. L’observation faite par Paul VI quand il écrit que dans l’Eucharistie « la présence du Christ est “réelle” non par exclusion, comme si les autres n’étaient pas “réelles”».
C’est pourquoi il faut s’inquiéter quand, hors du contexte eucharistique ou cultuel, on se sent perdu parce que l’on ne connaît pas d’autres façons de s’engager dans le mystère. Cela indique non seulement qu’il existe un certain analphabétisme spirituel, mais c’est la preuve de l’insuffisance de la pratique pastorale actuelle. Très probablement, dans un passé récent, notre activité pastorale a cherché à initier aux sacrements et non à initier – par les sacrements – à la vie chrétienne. (…)
On ne peut pas vraiment rencontrer Jésus sans s’imprégner de sa Parole. Au sujet du service, je me suis dit : mais ces médecins et infirmiers qui ont risqué leur vie pour rester près des malades n’ont-ils pas transformé les salles de l’hôpital en d’autres « cathédrales » ? Le service rendu aux autres dans leur travail quotidien, exaspéré par les besoins de l’urgence sanitaire, était aussi pour les chrétiens la manière physiologique d’exprimer leur foi, d’une Église présente dans le monde d’aujourd’hui, et non plus d’une « Église de sacristie », retirée de la rue ou contente de projeter la sacristie sur la rue. »
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