Elle enfanta son fils premier-né… (Luc 2,7)
Dieu se révèle, par ce simple projet – se laisser mettre au monde par le corps d’une femme – une révolution religieuse qui ne laissera personne tranquille. (…)
Cette révolution offusquera les rois, qui aiment savoir les dieux suffisamment lointains, suffisamment retranchés, suffisamment muets pour sentir leur trône à l’abri de tout partage, leur partialité à l’abri de tout jugement.
Cette révolution contrariera les religieux qui aiment savoir les dieux suffisamment puissants, suffisamment autoritaires, suffisamment dissuasifs pour tenir le peuple par la carotte et le bâton célestes.
Cette révolution me contrariera moi-même, qui aurais aimé une recette du bonheur, un guide, un manuel de vie, un Dieu-gourou à la parole claire.
Au lieu de quoi, à son origine, l’Evangile me flanque un nouveau-né dans les bras et me dit : voilà ton Dieu. Parce que tu es fragile, il s’est fait fragile lui aussi. Tu comptes sur lui ? Tu as raison. Et parce que tu comptes sur lui, il compte aussi sur toi. Nous ne sommes pas en terre de certitudes, nous sommes sur un chemin de confiance : à chaque pas, tu remises tout. Il n’y a pas de oui une fois pour toutes. Si tu cherchais la tranquillité, assurément, tu fais fausse route.
Le Dieu de l’Evangile commence, en somme, comme nous finissons parfois nos mois : sur la paille. Dépendant, attendant que l’humanité lui fasse crédit. (…)
Si Dieu arrive au monde comme un nouveau-né, son projet ne peut pas être de nous préserver du risque et de l’inquiétude. Avec l’Evangile, comme avec toute naissance, commence l’irréductible intranquillité.
Marion Muller-Colard, « L’Intranquillité », Bayard, 2016, p.54…63